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17/06 2024
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RÉANIMATION: DES RECOMMANDATIONS EN COURS D'ÉCRITURE FIXENT DES EFFECTIFS CIBLES ET UN TEMPS DE TRAVAIL LIMITÉ À 16 HEURES

(Par Caroline BESNIER, au congrès de la SRLF)

PARIS, 17 juin 2024 (APMnews) - Des recommandations formalisées d'experts (RFE), en cours d'écriture et présentées vendredi lors du congrès de la Société de réanimation de langue française (SRLF) à Paris, préconisent 16 heures de travail consécutives maximales pour les réanimateurs et un médecin réanimateur pour 14 lits maximum de soins critiques lors de la permanence des soins et les jours de week-end.

Ces RFE, non opposables et pilotées par la commission des référentiels de la SRLF et par le Conseil national professionnel de médecine intensive réanimation (CNP-MIR), devraient être publiées à l'automne dans Annals of Intensive Care et dans la revue MIR (Médecine intensive réanimation). Elles ont fait l'objet d'une présentation d'une vingtaine de minutes puis d'une heure de débat lors du congrès.

Dans le cadre de la réforme des soins critiques (cf dépêche du 27/04/2022 à 13:39, dépêche du 27/04/2022 à 18:01, dépêche du 18/04/2023 à 15:50 et dépêche du 15/04/2024 à 16:46), les décrets de 2022 et l'instruction de 2023 n'ont pas abordé le sujet des effectifs médicaux tant du point de vue quantitatif que de l'organisation médicale, a constaté le Pr Guillaume Thiéry, chef du service de MIR au CHU de Saint-Etienne et membre du conseil d'administration du CNP-MIR et responsable de l'activité d'audit.

"Il nous a semblé important que la spécialité s'empare de cette question et produise des documents appuyés par une méthodologie scientifique" (Grade), validés par le groupe et présentables aux tutelles, a-t-il expliqué. Même si ces RFE peuvent susciter des discussions, elles permettent au moins de "mettre une première pierre" dans la structuration de la spécialité, a-t-il fait valoir.

Le groupe de travail mis en place il y a un an est composé de 17 membres. Il représente la diversité de la spécialité (adultes/enfants, public/privé, CHU/hors CHU) et inclut également des directeurs d'hôpital, dont Edouard Couty, ancien directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos, aujourd'hui DGOS), Laetitia Micaelli-Flender, directrice générale du CHU de Reims, et Marie-Cécile Poncet, directrice de l'hôpital Avicenne (AP-HP, Bobigny).

Le Pr Thiéry a souligné l'"originalité" et l'importance pour les discussions à venir de l'association de directeurs, qui "ont apporté la contradiction parfois mais qui, à la fin, étaient d'accord avec l'ensemble" de ce qui a été produit. "Ce n'est pas juste un groupe de réanimateurs qui se sont réunis", a-t-il fait valoir.

Six champs ont été abordés: la définition de l'activité, la définition des effectifs de réanimateurs nécessaires, l'organisation et les modalités de calcul du temps de travail, l'impact de la structure (privée versus publique) et l'effet de l'âge sur la carrière.

Le groupe a produit 22 recommandations, dont 21 avis d'experts (niveau de preuve insuffisant faute de littérature solide) et une recommandation forte (niveau de preuve élevé). Toutes ont fait l'objet d'un accord fort, c'est-à-dire que plus de 70% des participants les approuvent.

Sur l'activité du médecin réanimateur, une partie est déjà inscrite dans le statut du praticien hospitalier mais il a été décidé de quand même faire une recommandation en raison de la nécessité de se répartir la quotité du temps de travail clinique et non clinique.

Les experts suggèrent que le temps de travail comprenne deux demi-journées par semaine de travail hors clinique pour les réanimateurs à temps plein dans un plateau de soins critiques, accueillant des étudiants de deuxième ou troisième cycle.

Pour l'activité de soins dans le plateau de soins critiques à activité majoritairement non programmée, les experts préconisent un médecin pour six lits maximum de réanimation et un médecin pour huit lits maximum d'unité de soins intensifs polyvalents (Usip).

"Il n'a pas été possible de produire une recommandation plus forte que l'avis d'experts parce que la littérature n'est pas homogène" et qu'il y a des études contradictoires, a observé le Pr Thiéry. De plus, ces études ont été réalisées dans des modèles nord-américains, australiens ou néo-zélandais avec des fonctionnements de service et des ratios paramédicaux très différents, ce qui influence le temps de travail médical.

Les experts suggèrent de ne pas excéder cinq jours consécutifs sur sept travaillés afin d'améliorer la qualité de vie au travail et de limiter le risque de burn-out.

Lors de la permanence des soins et les jours de week-end, ils préconisent un médecin réanimateur pour 14 lits maximum de soins critiques, en s'appuyant sur une étude française qui montre un doublement de la mortalité quand le nombre de patients dépasse 14 par rapport à huit lits. Les autres études sont assez peu applicables dans le système français car beaucoup sont américaines et concernent des services en général sans réanimateur senior de garde.

Sur les activités hors des murs (à l'extérieur de l'unité, avant ou après la réanimation), les experts suggèrent qu'un réanimateur leur soit dévolu en dehors des périodes de permanence des soins afin de réduire la morbi-mortalité des patients en situation critique et de réduire le risque de burn-out des membres de l'équipe. Ainsi, "un médecin est juste affecté au bip ou au téléphone de garde et donc détaché de l'activité pour aller voir les malades aux urgences ou dans les étages ou pour les sollicitations téléphoniques", a explicité le Pr Thiéry.

16 heures de travail consécutives maximales

En matière d'organisations du temps, les experts suggèrent qu'elles soient optimisées pour garantir la continuité, la qualité et la sécurité des soins en limitant les changements de médecins prenant en charge un patient au cours de son séjour en soins critiques.

Il faut privilégier des organisations sur les périodes de permanence des soins plafonnant le nombre d'heures consécutives à 16 heures maximum. Il s'agit d'une recommandation de grade 1+, fondée sur des données solides de la littérature, qui pointent un risque accru de burn-out, de réduction d'attention, d'erreur médicale et d'accident de voiture à la sortie d'une garde.

"La France est un des rares pays à continuer de faire des périodes de 24 heures d'affilée", alors que des pays européens très proches ont cessé, y compris dans leur législation, de travailler 24 heures, a commenté le Pr Thiéry.

Sur le nombre maximal de garde, il a observé qu'il était difficile de donner un chiffre. Des études ont montré que "le risque de burn-out augmente proportionnellement avec le nombre de gardes mais aussi avec le temps de travail", les deux variables étant assez liées. Les experts suggèrent de ne pas faire plus de quatre gardes par mois pour ne pas augmenter le risque de burn-out et de syndrome dépressif et que deux gardes soient espacées d'au moins trois jours.

Sur le télétravail, il y a peu de littérature mais les experts suggèrent de le rendre possible dans le cadre des missions d'enseignement, de recherche ou des tâches administratives et dans des conditions conformes à la législation afin d'éviter une absence de limitation et de régulation à la maison.

Sur le calcul du temps de travail, le Pr Thiéry a rappelé que de plus en plus de services étaient passés en temps médical continu ou sont en train d'y passer mais sans qu'il y ait de littérature pour appuyer ce modèle.

Les experts suggèrent que les modalités de calcul du temps de travail des médecins réanimateurs tiennent compte de façon exacte de leur activité afin de limiter le risque de burn-out et que la permanence des soins soit reconnue à hauteur de trois demi-journées ou calculée en heures. Le Pr Thiéry a souligné l'asymétrie actuelle avec des journées de 10 heures et des gardes de 14 heures. Certains hôpitaux ont déjà "accordé trois demi-journées pour une garde ce qui naturellement impacte beaucoup le calcul général du temps de travail".

Le groupe de travail suggère que le même ratio médecin/lit, sur les plateaux de soins critiques à activités majoritairement non programmées, soit appliqué dans les établissements publics et privés. Mais les experts laissent une liberté d'organisation pour le temps de travail non clinique aux praticiens des établissements privés puisque leurs contraintes "ne sont pas les mêmes que celles du secteur public", a souligné le Pr Thiéry.

Enfin, les experts se sont posé la question de l'effet de l'âge sur la carrière, observant qu'il est très difficile de trouver la littérature sur ce sujet. Ils ont estimé ne pas être en mesure de recommander une limite d'âge pour la participation à la permanence des soins, mais ce sujet a fait débat au sein du groupe, certains en souhaitant une mais d'autres arguant que rien ne permettait d'arrêter un âge.

Néanmoins, compte tenu des exigences de l'activité de réanimation, particulièrement de l'exercice de nuit et de l'effet de l'âge sur la qualité des soins et sur la santé des médecins, les experts suggèrent que soit considérée, sans obligation, la possibilité d'adapter et/ou de diversifier, parfois même temporairement, les modalités d'exercice de l'activité professionnelle, en fonction de l'état de santé et du projet professionnel, avec une réévaluation au cours du temps.

Ils recommandent de s'appuyer notamment sur les évaluations périodiques par la médecine du travail, sur les données relatives à la certification périodique des professionnels de santé et sur l'évaluation périodique de la qualité de vie au travail. Il leur semble également qu'une sensibilisation et une formation au dépistage des troubles physiques et cognitifs devraient être systématiquement et périodiquement effectuées auprès des réanimateurs, en particulier ceux impliqués dans la permanence des soins.

Enfin, ils suggèrent de considérer la possibilité de diversifier l'activité, soit par une limitation de la participation à la permanence des soins, soit par la mise en place du temps partiel ou de temps partagé, soit par l'orientation vers d'autres types d'activités institutionnelles ou managériales, soit par le développement en particulier de post-réanimation, "façon de garder une activité de réanimation, mais avec moins de contraintes".

Un levier de discussion avec les directions

Il est ressorti des débats l'importance pour les réanimateurs de s'emparer des RFE et de les porter auprès de leur direction. C'est un outil pour s'inscrire dans une trajectoire vers ce qui semble être une organisation optimale du service, a souligné le Pr Thiéry. "L'objectif n'est pas du jour au lendemain" d'avoir les effectifs préconisés mais de commencer à instaurer une discussion avec les directions, a abondé le Pr Nicolas Terzi (CHU de Rennes), coprésident du CNP.

Pour Stephan Ehrmann, réanimateur au CHU de Tours, le plus gros changement de pratique viendra de la limite du temps de travail à 16 heures par jour. Avec cette règle, on sera plus nombreux dans les services, ce qui implique un peu plus de transmission entre médecins et donc de réfléchir à la manière de faire ces transmissions, a-t-il observé. D'autres participants dans la salle ont fait part de leur crainte que ce nombre d'heures génère des organisations compliquées. Certains ont indiqué avoir déjà mis en place la venue du réanimateur de garde qu'à midi ou en début d'après-midi.

Sur la recommandation d'un réanimateur pour 14 lits, il peut y avoir une négociation entre 14 et 28 lits, a estimé le Pr Jean Reigner, coprésident du CNP (CHU de Nantes). Pour la Pr Muriel Fartoukh (AP-HP), présidente de la SRLF, ces RFE peuvent "être éventuellement un levier de discussions avec la direction pour négocier une demi-garde, ou du temps médical pour améliorer le temps de la transmission". Si on prend ce chiffre "frontalement, en disant on a 15 ou 16 lits et donc il faut qu'on soit deux docteurs, on n'y arrivera pas", a-t-elle argué.

Le Pr Terzi a expliqué que le groupe n'a par ailleurs pas souhaité intégrer les internes dans les ratios de lits par médecin en raison de leur statut d'étudiant et du fait que ça compliquait le message pour les structures n'accueillant pas d'internes. De plus, avoir des internes prend également du temps et avoir deux médecins à partir de 14 lits améliore l'ensemble des missions du réanimateur, a-t-il mis en avant.

Une réanimatrice du CH de Lens a rappelé qu'il manquait il y a quelques années, selon les critères actuels, 330 équivalents temps plein (ETP) de réanimateurs et qu'à 2030, le manque était estimé à 1.000 réanimateurs (cf dépêche du 03/12/2021 à 17:53).

Un anesthésiste-réanimateur a fait part de son inquiétude qu'en cas de saisie de dossier par la justice et d'expertise, il soit reproché au service de ne pas avoir l'organisation correspondant aux RFE et a plaidé pour l'ajout d'un paragraphe reconnaissant la nécessité d'un temps de mise en place.

Le Pr Reignier a balayé cette inquiétude préconisant aux chefs de service d'écrire leurs demandes à leur directeur et d'en garder une trace. En revanche l'organisation en 16 heures pour la permanence de nuit est de la responsabilité des chefs de service et pourra leur être reprochée au niveau médico-légal en cas de problème, a nuancé l'ancien président de la SLRF, le Pr Laurent Papazian.

cb/ab/APMnews

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(Par Caroline BESNIER, au congrès de la SRLF)

PARIS, 17 juin 2024 (APMnews) - Des recommandations formalisées d'experts (RFE), en cours d'écriture et présentées vendredi lors du congrès de la Société de réanimation de langue française (SRLF) à Paris, préconisent 16 heures de travail consécutives maximales pour les réanimateurs et un médecin réanimateur pour 14 lits maximum de soins critiques lors de la permanence des soins et les jours de week-end.

Ces RFE, non opposables et pilotées par la commission des référentiels de la SRLF et par le Conseil national professionnel de médecine intensive réanimation (CNP-MIR), devraient être publiées à l'automne dans Annals of Intensive Care et dans la revue MIR (Médecine intensive réanimation). Elles ont fait l'objet d'une présentation d'une vingtaine de minutes puis d'une heure de débat lors du congrès.

Dans le cadre de la réforme des soins critiques (cf dépêche du 27/04/2022 à 13:39, dépêche du 27/04/2022 à 18:01, dépêche du 18/04/2023 à 15:50 et dépêche du 15/04/2024 à 16:46), les décrets de 2022 et l'instruction de 2023 n'ont pas abordé le sujet des effectifs médicaux tant du point de vue quantitatif que de l'organisation médicale, a constaté le Pr Guillaume Thiéry, chef du service de MIR au CHU de Saint-Etienne et membre du conseil d'administration du CNP-MIR et responsable de l'activité d'audit.

"Il nous a semblé important que la spécialité s'empare de cette question et produise des documents appuyés par une méthodologie scientifique" (Grade), validés par le groupe et présentables aux tutelles, a-t-il expliqué. Même si ces RFE peuvent susciter des discussions, elles permettent au moins de "mettre une première pierre" dans la structuration de la spécialité, a-t-il fait valoir.

Le groupe de travail mis en place il y a un an est composé de 17 membres. Il représente la diversité de la spécialité (adultes/enfants, public/privé, CHU/hors CHU) et inclut également des directeurs d'hôpital, dont Edouard Couty, ancien directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos, aujourd'hui DGOS), Laetitia Micaelli-Flender, directrice générale du CHU de Reims, et Marie-Cécile Poncet, directrice de l'hôpital Avicenne (AP-HP, Bobigny).

Le Pr Thiéry a souligné l'"originalité" et l'importance pour les discussions à venir de l'association de directeurs, qui "ont apporté la contradiction parfois mais qui, à la fin, étaient d'accord avec l'ensemble" de ce qui a été produit. "Ce n'est pas juste un groupe de réanimateurs qui se sont réunis", a-t-il fait valoir.

Six champs ont été abordés: la définition de l'activité, la définition des effectifs de réanimateurs nécessaires, l'organisation et les modalités de calcul du temps de travail, l'impact de la structure (privée versus publique) et l'effet de l'âge sur la carrière.

Le groupe a produit 22 recommandations, dont 21 avis d'experts (niveau de preuve insuffisant faute de littérature solide) et une recommandation forte (niveau de preuve élevé). Toutes ont fait l'objet d'un accord fort, c'est-à-dire que plus de 70% des participants les approuvent.

Sur l'activité du médecin réanimateur, une partie est déjà inscrite dans le statut du praticien hospitalier mais il a été décidé de quand même faire une recommandation en raison de la nécessité de se répartir la quotité du temps de travail clinique et non clinique.

Les experts suggèrent que le temps de travail comprenne deux demi-journées par semaine de travail hors clinique pour les réanimateurs à temps plein dans un plateau de soins critiques, accueillant des étudiants de deuxième ou troisième cycle.

Pour l'activité de soins dans le plateau de soins critiques à activité majoritairement non programmée, les experts préconisent un médecin pour six lits maximum de réanimation et un médecin pour huit lits maximum d'unité de soins intensifs polyvalents (Usip).

"Il n'a pas été possible de produire une recommandation plus forte que l'avis d'experts parce que la littérature n'est pas homogène" et qu'il y a des études contradictoires, a observé le Pr Thiéry. De plus, ces études ont été réalisées dans des modèles nord-américains, australiens ou néo-zélandais avec des fonctionnements de service et des ratios paramédicaux très différents, ce qui influence le temps de travail médical.

Les experts suggèrent de ne pas excéder cinq jours consécutifs sur sept travaillés afin d'améliorer la qualité de vie au travail et de limiter le risque de burn-out.

Lors de la permanence des soins et les jours de week-end, ils préconisent un médecin réanimateur pour 14 lits maximum de soins critiques, en s'appuyant sur une étude française qui montre un doublement de la mortalité quand le nombre de patients dépasse 14 par rapport à huit lits. Les autres études sont assez peu applicables dans le système français car beaucoup sont américaines et concernent des services en général sans réanimateur senior de garde.

Sur les activités hors des murs (à l'extérieur de l'unité, avant ou après la réanimation), les experts suggèrent qu'un réanimateur leur soit dévolu en dehors des périodes de permanence des soins afin de réduire la morbi-mortalité des patients en situation critique et de réduire le risque de burn-out des membres de l'équipe. Ainsi, "un médecin est juste affecté au bip ou au téléphone de garde et donc détaché de l'activité pour aller voir les malades aux urgences ou dans les étages ou pour les sollicitations téléphoniques", a explicité le Pr Thiéry.

16 heures de travail consécutives maximales

En matière d'organisations du temps, les experts suggèrent qu'elles soient optimisées pour garantir la continuité, la qualité et la sécurité des soins en limitant les changements de médecins prenant en charge un patient au cours de son séjour en soins critiques.

Il faut privilégier des organisations sur les périodes de permanence des soins plafonnant le nombre d'heures consécutives à 16 heures maximum. Il s'agit d'une recommandation de grade 1+, fondée sur des données solides de la littérature, qui pointent un risque accru de burn-out, de réduction d'attention, d'erreur médicale et d'accident de voiture à la sortie d'une garde.

"La France est un des rares pays à continuer de faire des périodes de 24 heures d'affilée", alors que des pays européens très proches ont cessé, y compris dans leur législation, de travailler 24 heures, a commenté le Pr Thiéry.

Sur le nombre maximal de garde, il a observé qu'il était difficile de donner un chiffre. Des études ont montré que "le risque de burn-out augmente proportionnellement avec le nombre de gardes mais aussi avec le temps de travail", les deux variables étant assez liées. Les experts suggèrent de ne pas faire plus de quatre gardes par mois pour ne pas augmenter le risque de burn-out et de syndrome dépressif et que deux gardes soient espacées d'au moins trois jours.

Sur le télétravail, il y a peu de littérature mais les experts suggèrent de le rendre possible dans le cadre des missions d'enseignement, de recherche ou des tâches administratives et dans des conditions conformes à la législation afin d'éviter une absence de limitation et de régulation à la maison.

Sur le calcul du temps de travail, le Pr Thiéry a rappelé que de plus en plus de services étaient passés en temps médical continu ou sont en train d'y passer mais sans qu'il y ait de littérature pour appuyer ce modèle.

Les experts suggèrent que les modalités de calcul du temps de travail des médecins réanimateurs tiennent compte de façon exacte de leur activité afin de limiter le risque de burn-out et que la permanence des soins soit reconnue à hauteur de trois demi-journées ou calculée en heures. Le Pr Thiéry a souligné l'asymétrie actuelle avec des journées de 10 heures et des gardes de 14 heures. Certains hôpitaux ont déjà "accordé trois demi-journées pour une garde ce qui naturellement impacte beaucoup le calcul général du temps de travail".

Le groupe de travail suggère que le même ratio médecin/lit, sur les plateaux de soins critiques à activités majoritairement non programmées, soit appliqué dans les établissements publics et privés. Mais les experts laissent une liberté d'organisation pour le temps de travail non clinique aux praticiens des établissements privés puisque leurs contraintes "ne sont pas les mêmes que celles du secteur public", a souligné le Pr Thiéry.

Enfin, les experts se sont posé la question de l'effet de l'âge sur la carrière, observant qu'il est très difficile de trouver la littérature sur ce sujet. Ils ont estimé ne pas être en mesure de recommander une limite d'âge pour la participation à la permanence des soins, mais ce sujet a fait débat au sein du groupe, certains en souhaitant une mais d'autres arguant que rien ne permettait d'arrêter un âge.

Néanmoins, compte tenu des exigences de l'activité de réanimation, particulièrement de l'exercice de nuit et de l'effet de l'âge sur la qualité des soins et sur la santé des médecins, les experts suggèrent que soit considérée, sans obligation, la possibilité d'adapter et/ou de diversifier, parfois même temporairement, les modalités d'exercice de l'activité professionnelle, en fonction de l'état de santé et du projet professionnel, avec une réévaluation au cours du temps.

Ils recommandent de s'appuyer notamment sur les évaluations périodiques par la médecine du travail, sur les données relatives à la certification périodique des professionnels de santé et sur l'évaluation périodique de la qualité de vie au travail. Il leur semble également qu'une sensibilisation et une formation au dépistage des troubles physiques et cognitifs devraient être systématiquement et périodiquement effectuées auprès des réanimateurs, en particulier ceux impliqués dans la permanence des soins.

Enfin, ils suggèrent de considérer la possibilité de diversifier l'activité, soit par une limitation de la participation à la permanence des soins, soit par la mise en place du temps partiel ou de temps partagé, soit par l'orientation vers d'autres types d'activités institutionnelles ou managériales, soit par le développement en particulier de post-réanimation, "façon de garder une activité de réanimation, mais avec moins de contraintes".

Un levier de discussion avec les directions

Il est ressorti des débats l'importance pour les réanimateurs de s'emparer des RFE et de les porter auprès de leur direction. C'est un outil pour s'inscrire dans une trajectoire vers ce qui semble être une organisation optimale du service, a souligné le Pr Thiéry. "L'objectif n'est pas du jour au lendemain" d'avoir les effectifs préconisés mais de commencer à instaurer une discussion avec les directions, a abondé le Pr Nicolas Terzi (CHU de Rennes), coprésident du CNP.

Pour Stephan Ehrmann, réanimateur au CHU de Tours, le plus gros changement de pratique viendra de la limite du temps de travail à 16 heures par jour. Avec cette règle, on sera plus nombreux dans les services, ce qui implique un peu plus de transmission entre médecins et donc de réfléchir à la manière de faire ces transmissions, a-t-il observé. D'autres participants dans la salle ont fait part de leur crainte que ce nombre d'heures génère des organisations compliquées. Certains ont indiqué avoir déjà mis en place la venue du réanimateur de garde qu'à midi ou en début d'après-midi.

Sur la recommandation d'un réanimateur pour 14 lits, il peut y avoir une négociation entre 14 et 28 lits, a estimé le Pr Jean Reigner, coprésident du CNP (CHU de Nantes). Pour la Pr Muriel Fartoukh (AP-HP), présidente de la SRLF, ces RFE peuvent "être éventuellement un levier de discussions avec la direction pour négocier une demi-garde, ou du temps médical pour améliorer le temps de la transmission". Si on prend ce chiffre "frontalement, en disant on a 15 ou 16 lits et donc il faut qu'on soit deux docteurs, on n'y arrivera pas", a-t-elle argué.

Le Pr Terzi a expliqué que le groupe n'a par ailleurs pas souhaité intégrer les internes dans les ratios de lits par médecin en raison de leur statut d'étudiant et du fait que ça compliquait le message pour les structures n'accueillant pas d'internes. De plus, avoir des internes prend également du temps et avoir deux médecins à partir de 14 lits améliore l'ensemble des missions du réanimateur, a-t-il mis en avant.

Une réanimatrice du CH de Lens a rappelé qu'il manquait il y a quelques années, selon les critères actuels, 330 équivalents temps plein (ETP) de réanimateurs et qu'à 2030, le manque était estimé à 1.000 réanimateurs (cf dépêche du 03/12/2021 à 17:53).

Un anesthésiste-réanimateur a fait part de son inquiétude qu'en cas de saisie de dossier par la justice et d'expertise, il soit reproché au service de ne pas avoir l'organisation correspondant aux RFE et a plaidé pour l'ajout d'un paragraphe reconnaissant la nécessité d'un temps de mise en place.

Le Pr Reignier a balayé cette inquiétude préconisant aux chefs de service d'écrire leurs demandes à leur directeur et d'en garder une trace. En revanche l'organisation en 16 heures pour la permanence de nuit est de la responsabilité des chefs de service et pourra leur être reprochée au niveau médico-légal en cas de problème, a nuancé l'ancien président de la SLRF, le Pr Laurent Papazian.

cb/ab/APMnews

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