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05/07 2024
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L'ARM DU SAMU DE STRASBOURG MISE EN CAUSE DANS L'AFFAIRE MUSENGA CONDAMNÉE À UN AN DE PRISON AVEC SURSIS

(Par Geoffroy LANG, à Strasbourg)

STRASBOURG, 5 juillet 2024 (APMnews) - L'assistante de régulation médicale (ARM) mise en cause dans la mort de Noami Musenga en décembre 2017 a été condamnée jeudi au tribunal correctionnel de Strasbourg à un an de prison avec sursis pour "non-assistance à personne en danger".

Cette jeune femme de 22 ans était décédée le 29 décembre 2017 aux urgences du Nouvel hôpital civil (NHC) de Strasbourg, après avoir tenté de contacter à deux reprises le Samu du Bas-Rhin et s'être vu conseiller par la même ARM de contacter SOS Médecins (cf dépêche du 09/05/2018 à 18:16).

Alors que les deux premiers rapports médico-légaux diligentés par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) et la justice avaient conclu que ce décès était dû à une hépatite fulminante causée par une surconsommation de paracétamol, une contre-expertise a invalidé cette hypothèse sans parvenir à déterminer les causes de l'hémorragie abdominale ayant causé le décès (cf dépêche du 11/07/2018 à 18:52 et dépêche du 03/07/2024 à 20:49).

Après plus de huit heures d'audience, le tribunal a considéré que Corinne M. était coupable du fait de "non-assistance à personne en danger" pour ne pas avoir pris en charge correctement ces deux appels passés successivement par Naomi Musenga et de sa belle-sœur, et l'a condamnée en conséquence à 12 mois d'emprisonnement et 15.000 euros de frais de justice au bénéfice de la partie adverse.

Cette condamnation va ainsi au-delà des 10 mois d'emprisonnement avec sursis que le parquet avait requis.

A la sortie de l'audience, l'avocat de la partie civile, Me Jean-Christophe Coubris a assuré que ce jugement constituait "une satisfaction réelle pour la famille", en soulignant toutefois que la défense avait 10 jours pour faire appel.

"Dès lors que la décision sera définitive, ce que j'espère, nous envisagerons très rapidement de saisir le tribunal administratif pour volet indemnisation", a-t-il poursuivi, en ajoutant que ça n'avait jamais été la première préoccupation de la famille.

Dès son côté, Bablyne Musenga, la mère de Naomi, a fait part de son "soulagement" après ce jugement, en regrettant que l'ARM condamnée "ne comprenne pas ce qu'on lui reproche" au cours de l'audience.

"Comme on est empathique dans la famille, nous-même ça nous a fait mal de la voir souffrir comme elle a souffert, mais notre sœur a souffert aussi et ça n'a pas été facile de garder ça pendant sept ans", a ajouté le frère de Naomi, Gloire Musenga.

Le discours de la prévenue a évolué au cours de l'audience

Au cours de l'audience, la position de l'ARM mise en cause a fluctué, rejetant dans un premier temps tantôt la responsabilité sur sa charge de travail et son usure professionnelle, tantôt sur le contexte épidémique qui lui avait fait conclure hâtivement à une gastro-entérite, tantôt sur l'opératrice des pompiers qui lui avait transmis l'appel en faisant remarquer qu'elle n'avait pas non plus déclenché de moyens de secours: "Ma collègue du CTA [centre de traitement des appels] m'appelle, me dit que c'est une dame qui a mal au ventre et que c'est pour un médecin."

"Je n'ai pas du tout vu de critères de gravité sur cet appel, j'ai posé la question 'qu'est-ce qui se passe' plusieurs fois, je n'ai pas eu de réponse", s'est défendu l'ancienne ARM.

Avant de rediffuser l'enregistrement du premier appel, la présidente du tribunal a alors fait remarquer "que dès les départs les deux opératrices se positionnent dans une logique d'appel abusif", en décrédibilisant un appel passé vers le 17 en première intention: "Elle a la grippe et elle appelle la police."

"On fait un métier où on est sous pressions et je pense, après sept ans de réflexion, que je n'étais plus capable d'exercer ce métier", a réagi Corinne M, après l'écoute de l'enregistrement où elle éconduit Naomi Musenga lui faisant part de sa douleur et de sa "peur de mourir" en lui rétorquant: "Oui vous allez mourir certainement un jour comme tout le monde."

Alors que la présidente du tribunal a insisté pour savoir pourquoi elle n'avait pas posé de question pour tenter de comprendre pourquoi l'appelante semblait souffrir, l'ancienne ARM a expliqué qu'elle était alors "à bout dans [son] travail" et qu'elle "ne supportait plus le stress, chaque appel était ressenti comme une agression permanente".

Elle assurera par la suite ne pas s'être reconnue quand le responsable du Samu de Strasbourg lui avait fait réécouter cet appel: "Quand je suis rentrée au Samu, c'était pour sauver des gens et je me retrouve huit ans plus tard comme ça, pour moi c'est comme si j'étais défigurée, j'en suis venue à détester ce travail […]. C'est inqualifiable ce que j'ai dit au téléphone, c'est pour ça que je ne me reconnaissais pas."

"Ce que j'aimerais que vous compreniez, c'est que la charge de travail était énorme, il fallait aller vite, […] quand je regardais dans ma colonne d'appels [en attente], je me disais 'il y a peut-être un arrêt cardiaque'", a-t-elle cependant fait remarquer.

"Tous ces appels ont été faits sous la méthode [de l']abattage", insistera-t-elle ensuite en ajoutant: "Je ne suis pas responsable du manque de personnel au Samu."

"Je ne peux être que désolée et m'excuser"

Interrogée par la partie civile, Corinne M. a ainsi déclaré qu'elle ne se sentait "pas responsable de la souffrance de la famille Musenga parce qu'elle [n'était] pas la seule en cause". Elle s'est cependant s'excusée à plusieurs reprises, jugeant que son "comportement était inadmissible".

Après l'audition du deuxième appel passé par la belle-sœur de Naomi Musenga, lors duquel Corinne M. a de nouveau coupé court à l'échange en assurant ne pouvoir "rien faire de plus" que leur conseiller de s'adresser à SOS Médecins, l'ancienne ARM n'est pas parvenue à expliquer son comportement: "Je ne sais pas dans quel état j'étais, même moi je n'arrive pas à trouver des réponses, je ne peux être que désolée et m'excuser, cette histoire, elle tourne dans ma tête depuis sept ans."

Après une première suspension conservatoire de six mois, elle a finalement écopé de deux ans de mise à pied prononcés par la direction générale des HUS.

"J'ai été menacée de mort […], j'ai été harcelée par les journalistes, j'ai peur qu'on m'agresse, j'ai peur d'une vengeance", a assuré Corinne M., en rapportant avoir failli "se retrouver à la rue" à l'époque.

Après sa mise à pied, elle a quitté la métropole strasbourgeoise et le monde hospitalier pour enchaîner "quelques CDD [contrats à durée déterminée]" dans le maraîchage, avant d'être contrainte de déménager dans le sud de la France pour être hébergée par une amie.

"Aujourd'hui, je suis encore sans emploi", a ajouté l'ex-ARM, qui avait rejoint le Samu après avoir dû renoncer au métier d'ambulancière à la suite d'un accident du travail. "Ma situation n'est pas bonne puisque je suis au chômage et j'ai 60 ans."

Au cours de son témoignage, elle a évoqué les difficultés que pouvait engendrer l'absence d'une réelle formation pour les ARM au moment des faits, en étant formé par ses collègues: "La difficulté, c'est que quand je posais une question, je n'avais jamais la même réponse selon [la personne] avec qui je travaillais."

Elle a également pointé la pression que pouvait faire régner certains médecins régulateurs, en évoquant le cas d'un médecin qui l'avait "insultée" et "pourrie devant ses collègues de travail, car elle lui avait transmis un appel qu'elle n'aurait pas dû lui passer".

La mise en cause a également confié qu'elle refusait désormais, par peur, "des métiers où il y a une responsabilité".

"Nous ne sommes pas là pour vous juger sur la mort de Mme Musenga mais pour savoir si vous lui avez porté assistance quand elle en avait besoin", lui a alors demandé la substitut du procureur, Agnès Robine-Zirnhelt, avant de se voir répondre par la mise en cause: "Manifestement, je ne l'ai pas fait."

"Je sais, je n'ai pas fait mon travail correctement ce jour-là", ajoutera-t-elle peu après, en reconnaissant que son "ton" avait été "inadmissible" et en affichant à l'issue de son témoignage son "envie d'une guérison psychologique".

La représentante du parquet a souligné de son côté que Corinne M. s'était ouverte à sa cadre de santé de son sentiment d'usure professionnelle et de son envie de changer de poste, que la mise en cause a confirmée lors des débats: "Si j'avais eu d'autres qualifications, je serais partie."

Agnès Robine-Zirnhelt a par ailleurs rappelé au cours des débats que le juge d'instruction avait décidé d'un non-lieu pour le chef d'homicide involontaire initialement retenu à l'ouverture de l'information judiciaire car toutes les expertises avaient conclu que "la victime était au-delà de toutes ressources thérapeutiques dès le premier appel aux pompiers".

L'ancien responsable du Samu 67 appelé à la barre

"En tant que responsable, c'est toujours très difficile, ce genre de situation, puisqu'on est partagé entre un échec patent, un immense regret pour la famille et une certaine compréhension pour nos opérateurs qui travaillent dans des conditions souvent très difficiles", a expliqué de son côté l'ancien directeur du Samu de Strasbourg, le Dr Hervé Delplanque, cité comme témoin à la barre après avoir démissionné peu après la médiatisation de l'affaire (cf dépêche du 20/06/2018 à 19:02).

L'ancien directeur du Samu de Strasbourg, qui avait adressé par courrier à la famille Musenga l'enregistrement des deux appels passés au Samu en réponse à leurs demandes répétées, a relu devant le tribunal la lettre de démission qu'il avait adressée à la direction des HUS en 2018: "Il apparaît que les modalités de communication de l'enregistrement, même si elle se voulait d'une transparence totale, relevaient d'une absence d'humanité inacceptable, bien différente des valeurs que je défends au quotidien."

"Je présente mes excuses les plus sincères à la famille de Naomi Musenga, déjà éprouvée", avait-il poursuivi dans ce courrier. "Je leur dois, ainsi qu'à nos personnels actuellement malmenés qui font au quotidien un travail remarquable dans des conditions souvent difficiles, à notre institution, d'assumer ma part de responsabilité."

En réponse à Me Coubris, l'ex-responsable du Samu a confié la "colère" qu'il avait ressentie lors de sa découverte de l'enregistrement: "Ce que j'entendais était terrible, surtout parce que je connaissais le débouché de l'histoire. J'ai expliqué à mes collaborateurs que ça n'allait pas, le traitement ne correspondait pas à ce qu'on attendait."

Un "biais évident" dans la prise en charge du premier appel

Interrogé par la présidente sur le premier appel passé par Naomi Musenga au Samu, l'ancien directeur du Samu a souligné qu'il présentait un "biais évident": "L'appel qui est transmis à l'opératrice est dédramatisé par l'interlocutrice précédente."

"Rien qu'avec cet élément, même si je n'avais pas écouté la suite, je peux vous dire dans quel état va être l'opérateur qui reçoit cet appel", a-t-il ajouté, avant de reconnaître que ce biais n'existait pas pour le second appel adressé directement au Samu par la belle-sœur de Naomi Musenga et "la pratique recommandée" n'avait pas été appliquée lorsque Corinne M. n'avait même pas pris soin de relever les éléments d'identité de l'appelante.

"Evidemment, à la lecture des procédures, cet appel, comme le deuxième, aurait dû être transmis au régulateur", a-t-il reconnu par la suite en réponse à la substitut du procureur, en ajoutant que ces appels ne présentaient "pas de complexité particulière".

Hervé Delplanque a cependant mis en avant la fatigue engendrée par l'amplitude des plages de travail des ARM: "A titre personnel, c'est beaucoup trop […], le créneau des 12 heures en tant que responsable on n'était pas pour, mais c'est demandé par tous les soignants."

"J'ai toujours considéré qu'il ne fallait jamais faire ce travail sur toute une carrière professionnelle, ça n'est pas bénéfique pour la personne ni pour le service, parce que c'est épuisant", a-t-il ajouté.

Lors des débats, l'avocat de Corinne M., Me Thomas Callen, a souligné "que contrairement aux déclarations d'intentions du cadre de santé", sa cliente n'avait "pas été soutenue dans sa démarche de réorientation".

Lors de sa plaidoirie, Me Callen a plaidé la relaxe de la mise en cause, en reconnaissant que si sa cliente avait preuve d'un "manque d'empathie" et un "défaut d'humanité", elle n'avait "pas conscience du péril" dans lequel se trouvait Naomi Musenga.

L'avocat de la défense avait par ailleurs demandé la veille de l'audience le renvoi du dossier à l'instruction, rappelle-t-on. Il avait estimé que l'ordonnance de la juge d'instruction comportait "un flou lié à l'impossibilité de préciser ce qui lui est rapproché", en y voyant "la démonstration d'un copier-coller maladroit d'un texte de loi sans la moindre personnalisation".

La présidente du tribunal ayant cependant décidé de joindre l'incident au fond, l'audience s'est bien tenue avant que le tribunal ne statue sur cette requête par son rejet au moment du délibéré, en estimant qu'il n'existait "aucune ambiguïté quant à la lecture de cette ordonnance sur les faits qui sont reprochés".

gl/nc/APMnews

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(Par Geoffroy LANG, à Strasbourg)

STRASBOURG, 5 juillet 2024 (APMnews) - L'assistante de régulation médicale (ARM) mise en cause dans la mort de Noami Musenga en décembre 2017 a été condamnée jeudi au tribunal correctionnel de Strasbourg à un an de prison avec sursis pour "non-assistance à personne en danger".

Cette jeune femme de 22 ans était décédée le 29 décembre 2017 aux urgences du Nouvel hôpital civil (NHC) de Strasbourg, après avoir tenté de contacter à deux reprises le Samu du Bas-Rhin et s'être vu conseiller par la même ARM de contacter SOS Médecins (cf dépêche du 09/05/2018 à 18:16).

Alors que les deux premiers rapports médico-légaux diligentés par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) et la justice avaient conclu que ce décès était dû à une hépatite fulminante causée par une surconsommation de paracétamol, une contre-expertise a invalidé cette hypothèse sans parvenir à déterminer les causes de l'hémorragie abdominale ayant causé le décès (cf dépêche du 11/07/2018 à 18:52 et dépêche du 03/07/2024 à 20:49).

Après plus de huit heures d'audience, le tribunal a considéré que Corinne M. était coupable du fait de "non-assistance à personne en danger" pour ne pas avoir pris en charge correctement ces deux appels passés successivement par Naomi Musenga et de sa belle-sœur, et l'a condamnée en conséquence à 12 mois d'emprisonnement et 15.000 euros de frais de justice au bénéfice de la partie adverse.

Cette condamnation va ainsi au-delà des 10 mois d'emprisonnement avec sursis que le parquet avait requis.

A la sortie de l'audience, l'avocat de la partie civile, Me Jean-Christophe Coubris a assuré que ce jugement constituait "une satisfaction réelle pour la famille", en soulignant toutefois que la défense avait 10 jours pour faire appel.

"Dès lors que la décision sera définitive, ce que j'espère, nous envisagerons très rapidement de saisir le tribunal administratif pour volet indemnisation", a-t-il poursuivi, en ajoutant que ça n'avait jamais été la première préoccupation de la famille.

Dès son côté, Bablyne Musenga, la mère de Naomi, a fait part de son "soulagement" après ce jugement, en regrettant que l'ARM condamnée "ne comprenne pas ce qu'on lui reproche" au cours de l'audience.

"Comme on est empathique dans la famille, nous-même ça nous a fait mal de la voir souffrir comme elle a souffert, mais notre sœur a souffert aussi et ça n'a pas été facile de garder ça pendant sept ans", a ajouté le frère de Naomi, Gloire Musenga.

Le discours de la prévenue a évolué au cours de l'audience

Au cours de l'audience, la position de l'ARM mise en cause a fluctué, rejetant dans un premier temps tantôt la responsabilité sur sa charge de travail et son usure professionnelle, tantôt sur le contexte épidémique qui lui avait fait conclure hâtivement à une gastro-entérite, tantôt sur l'opératrice des pompiers qui lui avait transmis l'appel en faisant remarquer qu'elle n'avait pas non plus déclenché de moyens de secours: "Ma collègue du CTA [centre de traitement des appels] m'appelle, me dit que c'est une dame qui a mal au ventre et que c'est pour un médecin."

"Je n'ai pas du tout vu de critères de gravité sur cet appel, j'ai posé la question 'qu'est-ce qui se passe' plusieurs fois, je n'ai pas eu de réponse", s'est défendu l'ancienne ARM.

Avant de rediffuser l'enregistrement du premier appel, la présidente du tribunal a alors fait remarquer "que dès les départs les deux opératrices se positionnent dans une logique d'appel abusif", en décrédibilisant un appel passé vers le 17 en première intention: "Elle a la grippe et elle appelle la police."

"On fait un métier où on est sous pressions et je pense, après sept ans de réflexion, que je n'étais plus capable d'exercer ce métier", a réagi Corinne M, après l'écoute de l'enregistrement où elle éconduit Naomi Musenga lui faisant part de sa douleur et de sa "peur de mourir" en lui rétorquant: "Oui vous allez mourir certainement un jour comme tout le monde."

Alors que la présidente du tribunal a insisté pour savoir pourquoi elle n'avait pas posé de question pour tenter de comprendre pourquoi l'appelante semblait souffrir, l'ancienne ARM a expliqué qu'elle était alors "à bout dans [son] travail" et qu'elle "ne supportait plus le stress, chaque appel était ressenti comme une agression permanente".

Elle assurera par la suite ne pas s'être reconnue quand le responsable du Samu de Strasbourg lui avait fait réécouter cet appel: "Quand je suis rentrée au Samu, c'était pour sauver des gens et je me retrouve huit ans plus tard comme ça, pour moi c'est comme si j'étais défigurée, j'en suis venue à détester ce travail […]. C'est inqualifiable ce que j'ai dit au téléphone, c'est pour ça que je ne me reconnaissais pas."

"Ce que j'aimerais que vous compreniez, c'est que la charge de travail était énorme, il fallait aller vite, […] quand je regardais dans ma colonne d'appels [en attente], je me disais 'il y a peut-être un arrêt cardiaque'", a-t-elle cependant fait remarquer.

"Tous ces appels ont été faits sous la méthode [de l']abattage", insistera-t-elle ensuite en ajoutant: "Je ne suis pas responsable du manque de personnel au Samu."

"Je ne peux être que désolée et m'excuser"

Interrogée par la partie civile, Corinne M. a ainsi déclaré qu'elle ne se sentait "pas responsable de la souffrance de la famille Musenga parce qu'elle [n'était] pas la seule en cause". Elle s'est cependant s'excusée à plusieurs reprises, jugeant que son "comportement était inadmissible".

Après l'audition du deuxième appel passé par la belle-sœur de Naomi Musenga, lors duquel Corinne M. a de nouveau coupé court à l'échange en assurant ne pouvoir "rien faire de plus" que leur conseiller de s'adresser à SOS Médecins, l'ancienne ARM n'est pas parvenue à expliquer son comportement: "Je ne sais pas dans quel état j'étais, même moi je n'arrive pas à trouver des réponses, je ne peux être que désolée et m'excuser, cette histoire, elle tourne dans ma tête depuis sept ans."

Après une première suspension conservatoire de six mois, elle a finalement écopé de deux ans de mise à pied prononcés par la direction générale des HUS.

"J'ai été menacée de mort […], j'ai été harcelée par les journalistes, j'ai peur qu'on m'agresse, j'ai peur d'une vengeance", a assuré Corinne M., en rapportant avoir failli "se retrouver à la rue" à l'époque.

Après sa mise à pied, elle a quitté la métropole strasbourgeoise et le monde hospitalier pour enchaîner "quelques CDD [contrats à durée déterminée]" dans le maraîchage, avant d'être contrainte de déménager dans le sud de la France pour être hébergée par une amie.

"Aujourd'hui, je suis encore sans emploi", a ajouté l'ex-ARM, qui avait rejoint le Samu après avoir dû renoncer au métier d'ambulancière à la suite d'un accident du travail. "Ma situation n'est pas bonne puisque je suis au chômage et j'ai 60 ans."

Au cours de son témoignage, elle a évoqué les difficultés que pouvait engendrer l'absence d'une réelle formation pour les ARM au moment des faits, en étant formé par ses collègues: "La difficulté, c'est que quand je posais une question, je n'avais jamais la même réponse selon [la personne] avec qui je travaillais."

Elle a également pointé la pression que pouvait faire régner certains médecins régulateurs, en évoquant le cas d'un médecin qui l'avait "insultée" et "pourrie devant ses collègues de travail, car elle lui avait transmis un appel qu'elle n'aurait pas dû lui passer".

La mise en cause a également confié qu'elle refusait désormais, par peur, "des métiers où il y a une responsabilité".

"Nous ne sommes pas là pour vous juger sur la mort de Mme Musenga mais pour savoir si vous lui avez porté assistance quand elle en avait besoin", lui a alors demandé la substitut du procureur, Agnès Robine-Zirnhelt, avant de se voir répondre par la mise en cause: "Manifestement, je ne l'ai pas fait."

"Je sais, je n'ai pas fait mon travail correctement ce jour-là", ajoutera-t-elle peu après, en reconnaissant que son "ton" avait été "inadmissible" et en affichant à l'issue de son témoignage son "envie d'une guérison psychologique".

La représentante du parquet a souligné de son côté que Corinne M. s'était ouverte à sa cadre de santé de son sentiment d'usure professionnelle et de son envie de changer de poste, que la mise en cause a confirmée lors des débats: "Si j'avais eu d'autres qualifications, je serais partie."

Agnès Robine-Zirnhelt a par ailleurs rappelé au cours des débats que le juge d'instruction avait décidé d'un non-lieu pour le chef d'homicide involontaire initialement retenu à l'ouverture de l'information judiciaire car toutes les expertises avaient conclu que "la victime était au-delà de toutes ressources thérapeutiques dès le premier appel aux pompiers".

L'ancien responsable du Samu 67 appelé à la barre

"En tant que responsable, c'est toujours très difficile, ce genre de situation, puisqu'on est partagé entre un échec patent, un immense regret pour la famille et une certaine compréhension pour nos opérateurs qui travaillent dans des conditions souvent très difficiles", a expliqué de son côté l'ancien directeur du Samu de Strasbourg, le Dr Hervé Delplanque, cité comme témoin à la barre après avoir démissionné peu après la médiatisation de l'affaire (cf dépêche du 20/06/2018 à 19:02).

L'ancien directeur du Samu de Strasbourg, qui avait adressé par courrier à la famille Musenga l'enregistrement des deux appels passés au Samu en réponse à leurs demandes répétées, a relu devant le tribunal la lettre de démission qu'il avait adressée à la direction des HUS en 2018: "Il apparaît que les modalités de communication de l'enregistrement, même si elle se voulait d'une transparence totale, relevaient d'une absence d'humanité inacceptable, bien différente des valeurs que je défends au quotidien."

"Je présente mes excuses les plus sincères à la famille de Naomi Musenga, déjà éprouvée", avait-il poursuivi dans ce courrier. "Je leur dois, ainsi qu'à nos personnels actuellement malmenés qui font au quotidien un travail remarquable dans des conditions souvent difficiles, à notre institution, d'assumer ma part de responsabilité."

En réponse à Me Coubris, l'ex-responsable du Samu a confié la "colère" qu'il avait ressentie lors de sa découverte de l'enregistrement: "Ce que j'entendais était terrible, surtout parce que je connaissais le débouché de l'histoire. J'ai expliqué à mes collaborateurs que ça n'allait pas, le traitement ne correspondait pas à ce qu'on attendait."

Un "biais évident" dans la prise en charge du premier appel

Interrogé par la présidente sur le premier appel passé par Naomi Musenga au Samu, l'ancien directeur du Samu a souligné qu'il présentait un "biais évident": "L'appel qui est transmis à l'opératrice est dédramatisé par l'interlocutrice précédente."

"Rien qu'avec cet élément, même si je n'avais pas écouté la suite, je peux vous dire dans quel état va être l'opérateur qui reçoit cet appel", a-t-il ajouté, avant de reconnaître que ce biais n'existait pas pour le second appel adressé directement au Samu par la belle-sœur de Naomi Musenga et "la pratique recommandée" n'avait pas été appliquée lorsque Corinne M. n'avait même pas pris soin de relever les éléments d'identité de l'appelante.

"Evidemment, à la lecture des procédures, cet appel, comme le deuxième, aurait dû être transmis au régulateur", a-t-il reconnu par la suite en réponse à la substitut du procureur, en ajoutant que ces appels ne présentaient "pas de complexité particulière".

Hervé Delplanque a cependant mis en avant la fatigue engendrée par l'amplitude des plages de travail des ARM: "A titre personnel, c'est beaucoup trop […], le créneau des 12 heures en tant que responsable on n'était pas pour, mais c'est demandé par tous les soignants."

"J'ai toujours considéré qu'il ne fallait jamais faire ce travail sur toute une carrière professionnelle, ça n'est pas bénéfique pour la personne ni pour le service, parce que c'est épuisant", a-t-il ajouté.

Lors des débats, l'avocat de Corinne M., Me Thomas Callen, a souligné "que contrairement aux déclarations d'intentions du cadre de santé", sa cliente n'avait "pas été soutenue dans sa démarche de réorientation".

Lors de sa plaidoirie, Me Callen a plaidé la relaxe de la mise en cause, en reconnaissant que si sa cliente avait preuve d'un "manque d'empathie" et un "défaut d'humanité", elle n'avait "pas conscience du péril" dans lequel se trouvait Naomi Musenga.

L'avocat de la défense avait par ailleurs demandé la veille de l'audience le renvoi du dossier à l'instruction, rappelle-t-on. Il avait estimé que l'ordonnance de la juge d'instruction comportait "un flou lié à l'impossibilité de préciser ce qui lui est rapproché", en y voyant "la démonstration d'un copier-coller maladroit d'un texte de loi sans la moindre personnalisation".

La présidente du tribunal ayant cependant décidé de joindre l'incident au fond, l'audience s'est bien tenue avant que le tribunal ne statue sur cette requête par son rejet au moment du délibéré, en estimant qu'il n'existait "aucune ambiguïté quant à la lecture de cette ordonnance sur les faits qui sont reprochés".

gl/nc/APMnews

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