Actualités de l'Urgence - APM
COMMENT (MIEUX) PRENDRE EN CHARGE LES PATIENTS POUR MOTIF PSYCHIATRIQUE AUX URGENCES GÉNÉRALES?
PARIS, 24 janvier 2025 (APMnews) - Déplorant les nombreux "points d'achoppement" dans la prise en charge psychiatrique du patient au sein des urgences générales, la Dr Pauline Guillemet-Senkel a évoqué une série de leviers afin de favoriser une "meilleure coopération entre psychiatres et urgentistes", lors d'une session organisée au congrès de l'Encéphale, qui se tient de mercredi à vendredi à Paris.
"La demande de prise en charge psychiatrique aux urgences générales est en augmentation depuis 2020", a rappelé Pauline Guillemet-Senkel, psychiatre au service des urgences psychiatriques de l'hôpital Edouard-Herriot (HCL) à Lyon.
Le rapport de la mission d'information sur les urgences psychiatriques (cf dépêche du 17/01/2024 à 11:47 et dépêche du 02/12/2024 à 08:00), portée par les députés Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République, Maine-et-Loire) et Sandrine Rousseau (Ecologiste et social, Paris), a comptabilisé en effet "566.000 passages aux urgences pour motif psychiatrique" en 2023, soit une hausse de 21% par rapport à 2019.
"Au vu de ces chiffres, il n'est pas difficile de comprendre qu'effectivement, les urgentistes accueillent beaucoup plus de patients pour motif psychiatriques à présent", a-t-elle noté. "Par ailleurs, la temporalité spécifique à la psychiatrie au sein des urgences est mise en difficulté par les urgentistes qui ont en tête la gestion du flux aux urgences."
Dans ce contexte, "nous observons de nombreux points d'achoppement dans les différentes étapes du parcours patient au sein des urgences générales".
Face à ce constat, Pauline Guillemet-Senkel a évoqué plusieurs leviers pour renforcer la collaboration entre urgentistes et psychiatres, à toutes les étapes de sa prise en charge (amont, accueil, prise en charge et orientation).
"Régulation téléphonique"
Pour limiter le recours aux urgences, "la question de la régulation téléphonique peut être une solution", a-t-elle rappelé, notant à ce titre que plusieurs établissements avaient mis en place ces dernières années des services d'accès aux soins (SAS) psy.
Les SAS psy font l'objet d'un dossier complet réalisé par APMnews. Il comprend une dépêche sur le fonctionnement et la régulation permise par ces dispositifs (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:45), un entretien avec l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté qui va lancer un appel à manifestation d'intérêt pour créer un SAS psychiatrique (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:47), une dépêche sur le "club des SAS psy" (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:45) et une dépêche sur une extension possible de ces dispositifs vers des "Smur-psy" (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:46). |
La limitation du recours aux urgences "pose aussi la question d'un renforcement de l'offre de consultation pour les soins non programmés", a poursuivi Pauline Guillemet-Senkel, notant qu'il pourrait être pertinent de créer des dispositifs similaires aux "maisons médicales de garde" existant actuellement pour les filières somatiques.
"Mon équipe réfléchit aussi à développer des consultations 'familles sans patient', dans l'idée de récupérer les patients qui nécessiteraient des soins assez rapidement", a-t-elle ajouté.
Une grille de triage importée d'Australie
Concernant l'accueil des patients, le Dr Guillemet-Senkel a surtout insisté sur l'importance de disposer d'une méthodologie de tri qui soit "adaptée" à la psychiatrie.
"Il y a aujourd'hui un vrai défaut de spécificité de la grille de triage French [FRench Emergency Nurses Classification in-Hospital triage] pour les patients avec un motif psychiatrique", a-t-elle observé, notant par exemple que, selon cette échelle, "le fait d'avoir des pensées suicidaires était trié au niveau 2 sur 6".
Cette échelle de tri inadaptée "amène à une diminution de notre capacité à répondre dans un temps opportun à la problématique du patient", a-t-elle observé: "Les patients psychiatriques sont souvent tous triés pareil et, in fine, on les prend en charge dans l'ordre d'arrivée."
Elle a ainsi préconisé l'utilisation de grilles de triage adaptées à la psychiatrie, telle que la "Mental Health Triage Scale", développée en 2015 par des équipes australiennes.
Elle se décline en cinq niveaux:
- 1er niveau: la réanimation (prise en charge immédiate)
- 2e niveau: patient violent, agressif voire dangereux pour lui et les autres (dans les 10 minutes)
- 3e niveau: patient très angoissé, délire aigu, idées suicidaires, risque d'évolution (dans les 30 minutes)
- 4e niveau: patient présentant un trouble chronique, semi-urgent, accompagné d'un infirmier diplômé d'Etat (IDE) en psychiatrie (dans l'heure)
- 5e niveau: patient présentant un trouble chronique non acutisé, non accompagné (dans les deux heures).
Evaluation conjointe et soins spécialisés
Au niveau de la prise en charge, "tout l'enjeu est de jongler entre le double impératif de l'évaluation conjointe (psychiatre - urgentiste) tout en proposant un soin spécialisé", a résumé la Dr Guillemet-Senkel.
Pour cela, elle a insisté sur l'importance que les psychiatres "soient proactifs" pour épauler les urgentistes lorsqu'ils prennent connaissance d'une nouvelle urgence psychiatrique. "Cela permettra d'avoir une bonne évaluation de bien meilleure qualité et que les urgentistes se sentent accompagnés."
Elle a par ailleurs noté les bienfaits de la présence d'IDE formés en psychiatrie dans les services d'urgences générales.
Un tel infirmier "accélère le parcours des patients; a un impact positif sur le délai d'attente mais aussi l'apaisement et la satisfaction du patient; permet d'accompagner le patient et de préparer l'entretien avec le psychiatre", a-t-elle listé. Enfin, "il présente un intérêt pour la formation des équipes aux spécificités de la santé mentale".
Elle a aussi évoqué l'importance de mieux prendre en compte les accompagnants.
"Depuis le Covid, [on constate] une nette diminution des accompagnants dans les services d'urgences générales et cela est souvent bien perçu par les soignants […]. Pourtant, en psychiatrie, la présence des proches est indispensable", a-t-elle rappelé.
"Outre leur effet apaisant, les accompagnants sont aussi les sentinelles des symptômes des patients", a-t-elle poursuivi, appelant donc à "les maintenir au maximum et [à les accueillir] dans des espaces dédiés pour la psychiatrie".
Enfin, elle a rappelé la recommandation (partagée par la Société française de médecine d'urgence, SFMU), portant sur la nécessité de créer une "zone dédiée" et "séparée" dans les services d'urgences générales.
Sur la question de l'orientation, elle a proposé de "réfléchir à des cellules d'orientation" ou encore de mettre en place des "unités de crise ou unités ambulatoires intensives" pour limiter le recours à l'hospitalisation.
Face au manque de lits d'aval, il serait également opportun de "faciliter l'accès aux lits des cliniques privées", a-t-elle conclu.
Le congrès de l'Encéphale est organisé par Europa Group, actionnaire d'APMnews.
jr/nc/APMnews
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COMMENT (MIEUX) PRENDRE EN CHARGE LES PATIENTS POUR MOTIF PSYCHIATRIQUE AUX URGENCES GÉNÉRALES?
PARIS, 24 janvier 2025 (APMnews) - Déplorant les nombreux "points d'achoppement" dans la prise en charge psychiatrique du patient au sein des urgences générales, la Dr Pauline Guillemet-Senkel a évoqué une série de leviers afin de favoriser une "meilleure coopération entre psychiatres et urgentistes", lors d'une session organisée au congrès de l'Encéphale, qui se tient de mercredi à vendredi à Paris.
"La demande de prise en charge psychiatrique aux urgences générales est en augmentation depuis 2020", a rappelé Pauline Guillemet-Senkel, psychiatre au service des urgences psychiatriques de l'hôpital Edouard-Herriot (HCL) à Lyon.
Le rapport de la mission d'information sur les urgences psychiatriques (cf dépêche du 17/01/2024 à 11:47 et dépêche du 02/12/2024 à 08:00), portée par les députés Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République, Maine-et-Loire) et Sandrine Rousseau (Ecologiste et social, Paris), a comptabilisé en effet "566.000 passages aux urgences pour motif psychiatrique" en 2023, soit une hausse de 21% par rapport à 2019.
"Au vu de ces chiffres, il n'est pas difficile de comprendre qu'effectivement, les urgentistes accueillent beaucoup plus de patients pour motif psychiatriques à présent", a-t-elle noté. "Par ailleurs, la temporalité spécifique à la psychiatrie au sein des urgences est mise en difficulté par les urgentistes qui ont en tête la gestion du flux aux urgences."
Dans ce contexte, "nous observons de nombreux points d'achoppement dans les différentes étapes du parcours patient au sein des urgences générales".
Face à ce constat, Pauline Guillemet-Senkel a évoqué plusieurs leviers pour renforcer la collaboration entre urgentistes et psychiatres, à toutes les étapes de sa prise en charge (amont, accueil, prise en charge et orientation).
"Régulation téléphonique"
Pour limiter le recours aux urgences, "la question de la régulation téléphonique peut être une solution", a-t-elle rappelé, notant à ce titre que plusieurs établissements avaient mis en place ces dernières années des services d'accès aux soins (SAS) psy.
Les SAS psy font l'objet d'un dossier complet réalisé par APMnews. Il comprend une dépêche sur le fonctionnement et la régulation permise par ces dispositifs (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:45), un entretien avec l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté qui va lancer un appel à manifestation d'intérêt pour créer un SAS psychiatrique (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:47), une dépêche sur le "club des SAS psy" (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:45) et une dépêche sur une extension possible de ces dispositifs vers des "Smur-psy" (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:46). |
La limitation du recours aux urgences "pose aussi la question d'un renforcement de l'offre de consultation pour les soins non programmés", a poursuivi Pauline Guillemet-Senkel, notant qu'il pourrait être pertinent de créer des dispositifs similaires aux "maisons médicales de garde" existant actuellement pour les filières somatiques.
"Mon équipe réfléchit aussi à développer des consultations 'familles sans patient', dans l'idée de récupérer les patients qui nécessiteraient des soins assez rapidement", a-t-elle ajouté.
Une grille de triage importée d'Australie
Concernant l'accueil des patients, le Dr Guillemet-Senkel a surtout insisté sur l'importance de disposer d'une méthodologie de tri qui soit "adaptée" à la psychiatrie.
"Il y a aujourd'hui un vrai défaut de spécificité de la grille de triage French [FRench Emergency Nurses Classification in-Hospital triage] pour les patients avec un motif psychiatrique", a-t-elle observé, notant par exemple que, selon cette échelle, "le fait d'avoir des pensées suicidaires était trié au niveau 2 sur 6".
Cette échelle de tri inadaptée "amène à une diminution de notre capacité à répondre dans un temps opportun à la problématique du patient", a-t-elle observé: "Les patients psychiatriques sont souvent tous triés pareil et, in fine, on les prend en charge dans l'ordre d'arrivée."
Elle a ainsi préconisé l'utilisation de grilles de triage adaptées à la psychiatrie, telle que la "Mental Health Triage Scale", développée en 2015 par des équipes australiennes.
Elle se décline en cinq niveaux:
- 1er niveau: la réanimation (prise en charge immédiate)
- 2e niveau: patient violent, agressif voire dangereux pour lui et les autres (dans les 10 minutes)
- 3e niveau: patient très angoissé, délire aigu, idées suicidaires, risque d'évolution (dans les 30 minutes)
- 4e niveau: patient présentant un trouble chronique, semi-urgent, accompagné d'un infirmier diplômé d'Etat (IDE) en psychiatrie (dans l'heure)
- 5e niveau: patient présentant un trouble chronique non acutisé, non accompagné (dans les deux heures).
Evaluation conjointe et soins spécialisés
Au niveau de la prise en charge, "tout l'enjeu est de jongler entre le double impératif de l'évaluation conjointe (psychiatre - urgentiste) tout en proposant un soin spécialisé", a résumé la Dr Guillemet-Senkel.
Pour cela, elle a insisté sur l'importance que les psychiatres "soient proactifs" pour épauler les urgentistes lorsqu'ils prennent connaissance d'une nouvelle urgence psychiatrique. "Cela permettra d'avoir une bonne évaluation de bien meilleure qualité et que les urgentistes se sentent accompagnés."
Elle a par ailleurs noté les bienfaits de la présence d'IDE formés en psychiatrie dans les services d'urgences générales.
Un tel infirmier "accélère le parcours des patients; a un impact positif sur le délai d'attente mais aussi l'apaisement et la satisfaction du patient; permet d'accompagner le patient et de préparer l'entretien avec le psychiatre", a-t-elle listé. Enfin, "il présente un intérêt pour la formation des équipes aux spécificités de la santé mentale".
Elle a aussi évoqué l'importance de mieux prendre en compte les accompagnants.
"Depuis le Covid, [on constate] une nette diminution des accompagnants dans les services d'urgences générales et cela est souvent bien perçu par les soignants […]. Pourtant, en psychiatrie, la présence des proches est indispensable", a-t-elle rappelé.
"Outre leur effet apaisant, les accompagnants sont aussi les sentinelles des symptômes des patients", a-t-elle poursuivi, appelant donc à "les maintenir au maximum et [à les accueillir] dans des espaces dédiés pour la psychiatrie".
Enfin, elle a rappelé la recommandation (partagée par la Société française de médecine d'urgence, SFMU), portant sur la nécessité de créer une "zone dédiée" et "séparée" dans les services d'urgences générales.
Sur la question de l'orientation, elle a proposé de "réfléchir à des cellules d'orientation" ou encore de mettre en place des "unités de crise ou unités ambulatoires intensives" pour limiter le recours à l'hospitalisation.
Face au manque de lits d'aval, il serait également opportun de "faciliter l'accès aux lits des cliniques privées", a-t-elle conclu.
Le congrès de l'Encéphale est organisé par Europa Group, actionnaire d'APMnews.
jr/nc/APMnews