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29/05 2024
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AUTORISATIONS D'ACTIVITÉS DE SOINS: UNE RÉFORME SOUPLE MAIS DES INTERROGATIONS ET DES ANGLES MORTS

(Par Maxime GRAVIER, à Santexpo)

PARIS, 29 mai 2024 (APMnews) - La réforme des autorisations d'activité de soins prévoit plusieurs dérogations et dispositifs exceptionnels afin de s'adapter au mieux aux situations sur le terrain, mais des interrogations persistent et des "angles morts" existent encore dans sa mise en place, ont évoqué le 21 mai les intervenants d'une table ronde lors du salon Santexpo à Paris.

Lors de cette table ronde intitulée "Réforme des autorisations d'activité: est-elle un outil au service de la restructuration de l'offre publique de soins?", Anne Hegoburu, sous-directrice à la prise en charge hospitalière et des parcours ville-hôpital à la direction générale de l'offre de soins (DGOS), Kevin Lullien, directeur de l'offre de soins à l'agence régionale de santé (ARS) Normandie et Emilie Berard, déléguée régionale de la Fédération hospitalière de France (FHF) Occitanie sont revenus sur les premiers pas de cette réforme sur le terrain.

"Cette réforme a beaucoup marqué la construction du projet régional de santé (PRS)", a fait valoir Kevin Lullien. L'instauration de nouveaux seuils, bien qu’"assez bas par rapport à l'Europe", a ainsi nécessité un travail de précision et poussé l'ARS à "jouer à fond la gradation", a-t-il souligné.

L'objectif est de construire un maillage et un nombre d'autorisations d'implantation qui crée des conditions favorables pour que les seuils soient atteints, a-t-il estimé. Même si, selon lui, 90% des établissements n'atteignant pas les seuils ont déjà abandonné l'activité concernée.

L'ARS Normandie a par ailleurs insisté sur la définition des parcours, notamment sur les mentions les plus complexes, afin que "tous les établissements qui n'exerceraient pas l'activité aient tout de même la possibilité d'avoir un accès à cette offre".

Kevin Lullien a aussi souhaité accompagner la construction des équipes de territoire, aujourd'hui "trop rares". "C'est une réforme compliquée [dont] il est difficile de prévoir les impacts avant un an ou deux", a-t-il par ailleurs jugé.

En conséquence, l'ARS a voulu "rester humble" et adopter un PRS "pragmatique", intégrant des fourchettes dans les autorisations d'implantation. "On va beaucoup plus réviser le PRS qu'avant, afin qu'il soit plus agile", a assuré le directeur de l'offre de soins de l'agence.

La question des coûts humains et matériels

Pour de nombreux établissements, le travail concernant les autorisations "n'était auparavant pas considéré comme stratégique mais administratif", a pointé Emilie Berard. Avec la réforme, "les hôpitaux ont dû lever le nez pour se considérer dans leur territoire, dans leur bassin de population", a-t-elle résumé.

Pour la déléguée régionale FHF Occitanie, s'est posée également la question du coût des nouvelles exigences liées à la réforme. Une étude a ainsi été menée dans la région pour évaluer le coût des nouvelles obligations concernant les soins critiques. Si les résultats définitifs ne sont pas encore connus, l'étude montre une hausse non négligeable des investissements nécessaires, que ce soit en ressources humaines ou matérielles, a confié Emilie Berard.

"La réforme a beaucoup renforcé les exigences en termes de ratios de personnel", alors que "les professionnels compétents dans ces services ne sont pas légion", a abondé Kevin Lullien.

"On a construit notre schéma cible, avec à l'esprit [le fait] que ces réformes vont porter sur des ressources extrêmement rares", a-t-il poursuivi. L'ARS Normandie est ainsi vigilante face au risque qui serait "de créer des autorisations qui auraient du mal à fonctionner et qui déséquilibreraient l'implantation des ressources humaines".

En réponse, Anne Hegoburu a noté que les textes introduisent des dispositions transitoires, en particulier des "délais de conformité avec ces exigences, pour ne pas avoir d'effet couperet".

Ces délais sont notamment possibles dans les activités de traitement des cancers, a-t-elle cité. "On ne va pas exiger des établissements, dès lors qu'une autorisation de cancer sera délivrée, qu'ils atteignent le seuil dès le départ: on leur laisse un peu de temps pour qu'ils montent en charge et s'organisent avec les partenaires sur le territoire", a expliqué la sous-directrice de la DGOS.

Une exception géographique existe également pour les établissements situés dans des territoires difficiles d'accès.

Redéfinir la santé publique de proximité

Emilie Berard regrette plus globalement que le débat autour de la santé publique de proximité ait été "escamoté", avec une vision encore dominante, mais irréaliste, selon elle, d'un accès à tous les soins à moins de 30 minutes pour l'ensemble de la population. "On n'a pas posé aux populations les enjeux de santé de proximité: quelle proximité, pour quel coût et quelle qualité?", a-t-elle ainsi avancé.

Elle a jugé "nécessaire de se poser la question de la concentration des lieux de santé". "Dans d'autres pays d'Europe, les offres de soins sont beaucoup plus concentrées", a-t-elle assuré. "Tenir une ligne de permanence des soins, cela ne se fait pas à trois médecins […], cela se fait dans de grosses équipes", a-t-elle continué.

Elle s'est également interrogée sur le rôle des acteurs menant cette réforme et de leur volonté à coopérer ensemble. Si les conseils territoriaux, composés à 80% de non-hospitaliers, se mobilisent sur un sujet mais que les directeurs généraux d'ARS ne les écoutent pas, "la réforme va faire pschitt", a-t-elle lancé.

En revanche, si l'articulation se met en place, la réforme fonctionnera. "Mais cela veut dire renverser la table: les directeurs sont maîtres dans leur domaine, et les groupements hospitaliers de territoire [GHT] n'ont pas de pouvoir en soi […] alors qu'on leur demande d'articuler les soins de leur territoire", a-t-elle schématisé.

"Dans les deux scénarios, certaines variables sont insuffisamment décidées", selon la déléguée FHF Occitanie.

Des discussions en cours sur la maternité ou la dialyse

Cette analyse est partagée par Anne Hegoburu. "On a conçu des outils, mais ce qui sera fait de ces outils dépendra de comment ils sont utilisés", a-t-elle commenté.

"Il y a une question qui se pose déjà du côté des maternités, où des normes anciennes existent, mais ne sont pas toujours respectées", a-t-elle constaté.

En Occitanie, se pose aussi la question des autorisations partagées entre public et privé, en particulier dans le domaine de la cardiologie interventionnelle.

"L'ARS a le pouvoir de donner une autorisation au privé mais n'a pas le pouvoir de l'obliger à tenir son autorisation quand le privé souhaite partir", selon Emilie Berard, qui craint que "plusieurs centres de cardio ne tombent".

"Cela pose la question des autorisations montées à deux opérateurs, c'est un angle mort de cette réforme", a-t-elle déploré.

"Pour les activités les plus sensibles, il y a la possibilité de désigner un opérateur", a répondu Anne Hegoburu, citant par exemple la permanence des soins en établissement de santé ou les soins sans consentement en psychiatrie.

Le travail de la DGOS "va continuer" afin d'éviter que cette réforme "ne devienne une usine à gaz", a-t-elle assuré. Des discussions avec le cabinet du ministre délégué chargé de la santé et de la prévention doivent ainsi reprendre sur plusieurs thèmes, dont la dialyse, la greffe, l'obstétrique-gynécologie ou la périnatalité.

mg/ab/APMnews

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(Par Maxime GRAVIER, à Santexpo)

PARIS, 29 mai 2024 (APMnews) - La réforme des autorisations d'activité de soins prévoit plusieurs dérogations et dispositifs exceptionnels afin de s'adapter au mieux aux situations sur le terrain, mais des interrogations persistent et des "angles morts" existent encore dans sa mise en place, ont évoqué le 21 mai les intervenants d'une table ronde lors du salon Santexpo à Paris.

Lors de cette table ronde intitulée "Réforme des autorisations d'activité: est-elle un outil au service de la restructuration de l'offre publique de soins?", Anne Hegoburu, sous-directrice à la prise en charge hospitalière et des parcours ville-hôpital à la direction générale de l'offre de soins (DGOS), Kevin Lullien, directeur de l'offre de soins à l'agence régionale de santé (ARS) Normandie et Emilie Berard, déléguée régionale de la Fédération hospitalière de France (FHF) Occitanie sont revenus sur les premiers pas de cette réforme sur le terrain.

"Cette réforme a beaucoup marqué la construction du projet régional de santé (PRS)", a fait valoir Kevin Lullien. L'instauration de nouveaux seuils, bien qu’"assez bas par rapport à l'Europe", a ainsi nécessité un travail de précision et poussé l'ARS à "jouer à fond la gradation", a-t-il souligné.

L'objectif est de construire un maillage et un nombre d'autorisations d'implantation qui crée des conditions favorables pour que les seuils soient atteints, a-t-il estimé. Même si, selon lui, 90% des établissements n'atteignant pas les seuils ont déjà abandonné l'activité concernée.

L'ARS Normandie a par ailleurs insisté sur la définition des parcours, notamment sur les mentions les plus complexes, afin que "tous les établissements qui n'exerceraient pas l'activité aient tout de même la possibilité d'avoir un accès à cette offre".

Kevin Lullien a aussi souhaité accompagner la construction des équipes de territoire, aujourd'hui "trop rares". "C'est une réforme compliquée [dont] il est difficile de prévoir les impacts avant un an ou deux", a-t-il par ailleurs jugé.

En conséquence, l'ARS a voulu "rester humble" et adopter un PRS "pragmatique", intégrant des fourchettes dans les autorisations d'implantation. "On va beaucoup plus réviser le PRS qu'avant, afin qu'il soit plus agile", a assuré le directeur de l'offre de soins de l'agence.

La question des coûts humains et matériels

Pour de nombreux établissements, le travail concernant les autorisations "n'était auparavant pas considéré comme stratégique mais administratif", a pointé Emilie Berard. Avec la réforme, "les hôpitaux ont dû lever le nez pour se considérer dans leur territoire, dans leur bassin de population", a-t-elle résumé.

Pour la déléguée régionale FHF Occitanie, s'est posée également la question du coût des nouvelles exigences liées à la réforme. Une étude a ainsi été menée dans la région pour évaluer le coût des nouvelles obligations concernant les soins critiques. Si les résultats définitifs ne sont pas encore connus, l'étude montre une hausse non négligeable des investissements nécessaires, que ce soit en ressources humaines ou matérielles, a confié Emilie Berard.

"La réforme a beaucoup renforcé les exigences en termes de ratios de personnel", alors que "les professionnels compétents dans ces services ne sont pas légion", a abondé Kevin Lullien.

"On a construit notre schéma cible, avec à l'esprit [le fait] que ces réformes vont porter sur des ressources extrêmement rares", a-t-il poursuivi. L'ARS Normandie est ainsi vigilante face au risque qui serait "de créer des autorisations qui auraient du mal à fonctionner et qui déséquilibreraient l'implantation des ressources humaines".

En réponse, Anne Hegoburu a noté que les textes introduisent des dispositions transitoires, en particulier des "délais de conformité avec ces exigences, pour ne pas avoir d'effet couperet".

Ces délais sont notamment possibles dans les activités de traitement des cancers, a-t-elle cité. "On ne va pas exiger des établissements, dès lors qu'une autorisation de cancer sera délivrée, qu'ils atteignent le seuil dès le départ: on leur laisse un peu de temps pour qu'ils montent en charge et s'organisent avec les partenaires sur le territoire", a expliqué la sous-directrice de la DGOS.

Une exception géographique existe également pour les établissements situés dans des territoires difficiles d'accès.

Redéfinir la santé publique de proximité

Emilie Berard regrette plus globalement que le débat autour de la santé publique de proximité ait été "escamoté", avec une vision encore dominante, mais irréaliste, selon elle, d'un accès à tous les soins à moins de 30 minutes pour l'ensemble de la population. "On n'a pas posé aux populations les enjeux de santé de proximité: quelle proximité, pour quel coût et quelle qualité?", a-t-elle ainsi avancé.

Elle a jugé "nécessaire de se poser la question de la concentration des lieux de santé". "Dans d'autres pays d'Europe, les offres de soins sont beaucoup plus concentrées", a-t-elle assuré. "Tenir une ligne de permanence des soins, cela ne se fait pas à trois médecins […], cela se fait dans de grosses équipes", a-t-elle continué.

Elle s'est également interrogée sur le rôle des acteurs menant cette réforme et de leur volonté à coopérer ensemble. Si les conseils territoriaux, composés à 80% de non-hospitaliers, se mobilisent sur un sujet mais que les directeurs généraux d'ARS ne les écoutent pas, "la réforme va faire pschitt", a-t-elle lancé.

En revanche, si l'articulation se met en place, la réforme fonctionnera. "Mais cela veut dire renverser la table: les directeurs sont maîtres dans leur domaine, et les groupements hospitaliers de territoire [GHT] n'ont pas de pouvoir en soi […] alors qu'on leur demande d'articuler les soins de leur territoire", a-t-elle schématisé.

"Dans les deux scénarios, certaines variables sont insuffisamment décidées", selon la déléguée FHF Occitanie.

Des discussions en cours sur la maternité ou la dialyse

Cette analyse est partagée par Anne Hegoburu. "On a conçu des outils, mais ce qui sera fait de ces outils dépendra de comment ils sont utilisés", a-t-elle commenté.

"Il y a une question qui se pose déjà du côté des maternités, où des normes anciennes existent, mais ne sont pas toujours respectées", a-t-elle constaté.

En Occitanie, se pose aussi la question des autorisations partagées entre public et privé, en particulier dans le domaine de la cardiologie interventionnelle.

"L'ARS a le pouvoir de donner une autorisation au privé mais n'a pas le pouvoir de l'obliger à tenir son autorisation quand le privé souhaite partir", selon Emilie Berard, qui craint que "plusieurs centres de cardio ne tombent".

"Cela pose la question des autorisations montées à deux opérateurs, c'est un angle mort de cette réforme", a-t-elle déploré.

"Pour les activités les plus sensibles, il y a la possibilité de désigner un opérateur", a répondu Anne Hegoburu, citant par exemple la permanence des soins en établissement de santé ou les soins sans consentement en psychiatrie.

Le travail de la DGOS "va continuer" afin d'éviter que cette réforme "ne devienne une usine à gaz", a-t-elle assuré. Des discussions avec le cabinet du ministre délégué chargé de la santé et de la prévention doivent ainsi reprendre sur plusieurs thèmes, dont la dialyse, la greffe, l'obstétrique-gynécologie ou la périnatalité.

mg/ab/APMnews

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